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Lettre d‘amour à la langue Allemande

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Message  MurielB Lun 14 Déc - 23:24

Romancier à succès, John Le Carré est aussi un ancien enseignant d’allemand et a occupé plusieurs postes de diplomate en Allemagne. Se souvenant de sa rencontre avec cette langue, il lui écrit aujourd’hui dans The Guardian du 13 décembre  une véritable lettre d’amour.
=>En Allemand  Allemagne
John le carré a écrit:
J’ai commencé l’apprentissage de l’allemand à 13 ans, et j’en suis toujours à essayer de comprendre pourquoi j’ai eu le coup de foudre. La réponse est à n’en pas douter liée à l’excellence de mon professeur. Dans un collège privé d’Angleterre qui n’était pas réputé pour son altruisme culturel, M. King était un oiseau rare : un homme intelligent et bienveillant qui, au plus fort de la Seconde Guerre mondiale, affichait un amour invétéré pour cette Allemagne qui, il le savait, était encore là, quelque part.
Un coup de foudre linguistique
Plutôt que de se joindre au chœur de la propagande antiallemande, il préférait, avec ténacité, faire découvrir à sa petite classe la beauté de cette langue, de sa littérature et de sa culture. Un jour, aimait-il à dire, l’Allemagne, la vraie, reviendra. Et il avait raison. Parce qu’elle est aujourd’hui revenue.
Pourquoi ai-je eu le coup de foudre ? Eh bien, à l’époque, rares étaient les professeurs de langue qui faisaient écouter des disques à leurs élèves sur un gramophone, ce que faisait M. King. Ses vieux disques nous étaient aussi précieux qu’à lui, il les conservait dans des pochettes en papier kraft, dans un cartable qu’il déposait dans le panier de sa bicyclette pour venir à l’école.
Qu’y trouvait-on, sur ces précieux enregistrements ? Les voix de grands acteurs classiques allemands, lisant des poèmes romantiques. Les disques craquaient un peu, mais cela faisait partie de leur charme. Dans mon souvenir, ils craquent encore :
Du bist wie eine Blume / CRAC So hold und schön und… / CRAC (Heinrich Heine)
Bei Nacht im Dorf der Wächter rief… / CRAC (Elfenlied, Eduard Mörike)
Et je les adorais. J’apprenais à les imiter, puis à les réciter, craquements compris. Et je me suis aperçu que cet idiome m’allait comme un gant. Qu’il allait à ma langue. Qu’il faisait la joie de mon oreille nordique.
J’aimais beaucoup aussi l’idée que ces poèmes et cette langue que j’apprenais n’appartenaient qu’à moi seul, l’allemand n’étant pas une matière prisée et la plupart de mes petits camarades n’en connaissant pas un traître mot au-delà des Achtung ! et Hände hoch ! qu’ils apprenaient dans les films de propagande diffusés pendant la guerre.
La langue est un refuge
Mais, grâce à M. King, j’en savais plus qu’eux. Et le jour où j’ai décrété que je ne pouvais pas rester une journée de plus dans mon lycée privé d’Angleterre, c’est la langue de Goethe qui m’a offert un refuge. C’était en 1948. Comme je ne pouvais pas aller en Allemagne, c’est en Suisse que je me suis rendu, et je me suis inscrit, à 16 ans, à l’université de Berne.
En Suisse, à la place de M. King, j’ai eu un autre professeur admirable en la personne de Frau Karsten, une Allemande du Nord austère, aux cheveux gris noués en queue-de-cheval. Comme M. King, elle se déplaçait à bicyclette, se tenant très droite sur la selle, sa toison grise ballottant dans le dos.
Sans surprise, quand je suis entré à l’armée plus tard, pour y faire mon service militaire, c’est en Autriche que j’ai été affecté. Sans surprise non plus, je suis ensuite parti à Oxford pour étudier l’allemand. Puis à Eton, pour l’y enseigner.
S’amuser follement avec les mots
Comme chacun sait, il est possible de s’amuser follement avec la langue de Goethe. Vous pouvez la taquiner, la triturer, la parodier. Inventer des mots à rallonge de votre cru – qui seront malgré tout de vrais mots – juste pour le plaisir. Google m’a ainsi proposé Donaudampfschiffsfahrtsgesellschaftskapitän [capitaine de la compagnie des vapeurs du Danube].
Vous connaissez sans doute le trait d’humour de Mark Twain : “Certains mots allemands sont si longs qu’ils ont une perspective.” Vous pouvez créer des adjectifs délirants pour dire par exemple en un seul mot “que mes parents viennent d’envoyer valser par la fenêtre” en parlant d’une PlayStation. Et quand vous en avez ras la casquette de vous débattre avec les mots composés, vous pourrez toujours vous détendre en vous tournant vers les poèmes cristallins d’un Hölderlin, d’un Goethe ou d’un Heine, et vous rappeler que la langue allemande est capable d’atteindre des sommets de simplicité et de beauté qui en font, pour bon nombre d’entre nous, une langue des dieux.
Nonobstant toutes ses feintes, c’est une langue qui aime la force simple des monosyllabes.
Un acte d’engagement et de générosité
La décision d’apprendre une langue étrangère est à mes yeux un geste d’amitié. C’est une façon de tendre la main, et pas uniquement de mener une négociation. C’est aussi apprendre à mieux connaître l’autre, approcher de lui et de sa culture, de ses mœurs et de sa façon de penser. Et la décision d’enseigner une langue étrangère est un acte d’engagement, de générosité et de médiation.
C’est la promesse d’éduquer – oui – et de donner un bagage. Mais aussi d’éveiller, d’allumer une flamme qui, vous l’espérez, ne s’éteindra jamais. De guider vos élèves vers des trouvailles, des idées, des révélations dont ils n’auraient jamais fait l’expérience sans votre dévouement, votre patience et votre savoir-faire. Pour citer Charlemagne : “Avoir une autre langue, c’est posséder une deuxième âme.” Il aurait pu ajouter qu’enseigner une autre langue, c’est implanter une deuxième âme.
Éloge des bilingues et des traducteurs…
Évidemment, une réconciliation digne de ce nom de ces deux âmes requiert une très grande agilité mentale. Elle oblige à être précis, à s’interroger sur le sens, à penser de manière rationnelle et créative sans jamais se satisfaire avant d’avoir trouvé le bon équivalent, ou ­ – ce qui peut arriver également – s’être rendu compte qu’il n’existe pas, et donc se mettre en quête d’une phrase ou d’une périphrase qui rendrait la même idée.
Il n’est pas étonnant, dès lors, que les éditeurs les plus consciencieux de mes romans ne soient pas ceux dont l’anglais est la langue maternelle, mais les traducteurs étrangers, qui pointent d’un doigt implacable telle tournure tautologique ou telle inexactitude factuelle – lesquelles sont bien trop nombreuses. Mon traducteur allemand est particulièrement horripilant à cet égard.
… des linguistes et des profs de langue
À l’époque extraordinaire où nous vivons – puisse-t-elle ne pas durer – il est impossible de pas être sidéré par les déclarations contradictoires ou inintelligibles qui nous parviennent d’outre-Atlantique, en découvrant par la même occasion l’usage qu’on peut faire de la langue et les outrages qu’on peut lui faire subir.
Pour un homme en guerre avec la vérité et la raison, un langage clair – lucide, rationnel – est une menace existentielle. Ce genre de personnage voit dans tout langage clair une attaque directe contre ses faux-fuyants, ses contradictions et ses mensonges. Pour lui, c’est la voix de l’ennemi. Pour lui, ce sont des fake news. Parce qu’il sait, ne fût-ce qu’intuitivement, ce que nous savons à nos dépens : que, sans clarté du langage, il n’y a pas de norme pour la vérité.
Or c’est cela, la langue, pour le linguiste. Ceux qui enseignent la langue, ceux qui en chérissent précision, sa signification, sa beauté, sont les gardiens de la vérité dans une époque dangereuse.
Comprendre l’allemand, c’est aussi faire vivre l’Europe
Et s’ils enseignent l’allemand – qui plus est dans un pays dans la tourmente comme le mien – il faut les estimer plus encore, car ils sont une espèce en danger. En ce moment, chaque fois que j’entends un responsable politique britannique prononcer cette phrase fatidique : “Je vais dire les choses très clairement”, je tends la main vers mon revolver.
En enseignant l’allemand, en faisant comprendre la culture et la vie allemandes, les récipiendaires d’aujourd’hui et leurs confrères et consœurs contribueront à équilibrer le débat européen, à veiller à ce qu’il reste convenable et civilisé.
Ils parleront surtout à ce que ce pays a de plus précieux : sa jeunesse éclairée qui – Brexit ou pas Brexit – se sent en Europe comme un poisson dans l’eau, voit dans l’Allemagne un partenaire naturel, et dans la langue étudiée un lien qui coule de source.

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France Merci de me faire part des grosses fautes dans mes messages en langue étrangère (en Message Privé). Grâce à vos remarques, je pourrai m'améliorer  :-) 
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